20 ans de… cinéma aux États-Unis

John Fithian © Nato

À l’occasion du 500e numéro – et des 20 ans d’existence – de Boxoffice Pro (ex-Côté Cinéma), la rédaction propose de replonger dans les évolutions de l’exploitation cinématographique de ces vingt dernières années, à travers la plume et la parole d’acteurs ou d’observateurs de la filière. John Fithian, ex-président de la fédération des cinémas américains, revient sur l’évolution de l’exploitation cinématographique aux États-Unis entre 2005 et 2025.

Dossier à retrouver en intégralité dans le Boxoffice Pro du 22 septembre 2025

« Les raisons pour lesquelles les spectateurs se rassemblent dans une salle sont bien plus nombreuses que le visionnage de films »
John Fithian, ex-président de la National Association of Theatre Owners (Nato, devenue Cinema United), à la tête désormais du cabinet de conseil The Fithian Group

Vingt ans de transformation, de défis et d’innovations

Bonjour de Los Angeles, Californie, États-Unis.
Un salut chaleureux à tous mes amis, anciens collègues et passionnés d’exploitation réunis à Deauville. J’ai été honoré lorsque Julien Marcel m’a demandé de partager quelques réflexions à l’occasion du 500ᵉ numéro de Boxoffice Pro. Félicitations à Julien et à toute son équipe pour ces nombreuses années au service du secteur.

Comme certains lecteurs s’en souviennent peut-être, j’ai été président-directeur général de la National Association of Theatre Owners (Nato), aujourd’hui Cinema United, de janvier 2000 à avril 2023. Durant cette période, la Nato est devenue représentative des exploitants dans les 50 États américains et dans plus de 100 pays. L’association a collaboré étroitement avec l’Unic, l’organisation européenne de référence, qui a elle aussi renforcé son unité, sa force et son influence au cours des deux décennies abordées dans cet essai.

Je garde un souvenir ému des réunions annuelles de décembre à Paris, où les dirigeants du secteur se retrouvaient dans la salle du conseil de la FNCF pour discuter des enjeux du moment. Certains des meilleurs repas de ma vie furent offerts par la FNCF lors de ces voyages !

À ma retraite de la Nato, j’ai entamé une nouvelle étape de ma vie sur les plages de Crète, où ma femme et moi possédons une maison. Mais ce répit n’a pas duré : des opportunités pour continuer à soutenir l’exploitation en salles se sont rapidement présentées.

Avec mes partenaires fondateurs Jackie Brenneman et Patrick Corcoran, nous avons créé The Fithian Group, LLC, un cabinet de conseil basé à Burbank, Californie. Plus récemment, nous avons lancé Attend Theatrical Marketplace, Inc., une plateforme en ligne, basée sur les données, permettant de connecter directement réalisateurs et exploitants pour une distribution et un marketing plus efficaces des films indépendants, internationaux ou de budget moyen. Notre premier titre sortira aux États-Unis le 7 novembre 2025. À terme, nous visons une extension mondiale de la plateforme. J’y reviendrai plus loin.

L’industrie des salles de cinéma aux États-Unis a connu des changements profonds entre 2005 et 2025. Au cours de ces deux décennies, les cinémas ont dû faire face à des révolutions technologiques, à des changements de comportement des spectateurs, à des turbulences économiques et à une pandémie mondiale, redéfinissant leur rôle dans la culture américaine et l’écosystème du divertissement. Cet essai explore l’évolution du secteur, en mettant l’accent sur les développements, défis et innovations clés qui ont façonné le cinéma tel que nous le connaissons aujourd’hui.

État des cinémas en 2005

Au début de 2005, les salles de cinéma dominaient largement le paysage du divertissement américain. Les multiplexes s’étaient multipliés dans les banlieues, proposant une offre variée de nouveautés et de blockbusters estivaux. La projection numérique en était à ses balbutiements : la plupart des écrans utilisaient encore le 35 mm. Le marché de la vidéo à domicile, porté par la vente et la location de DVD, complétait, mais ne menaçait pas encore, les recettes du box-office. Aller au cinéma était un rituel social, souvent associé à l’expérience des grands écrans, du son immersif et de l’émotion collective.

Cependant, l’industrie cinématographique commençait déjà à changer.. Les premiers téléviseurs haute définition, les services émergents de vidéo à la demande (VOD) et l’influence grandissante d’internet laissaient entrevoir un futur où le spectateur aurait le choix du moment et du mode de visionnage.

Transformations technologiques

La révolution de la projection numérique

L’un des changements les plus significatifs de cette période fut le passage du 35 mm au numérique. Dès le milieu des années 2000, cette nouvelle technologie a offert une meilleure qualité d’image, plus de fiabilité, plus de souplesse dans la programmation et des économies de coût. Sur le plan économique, cependant, les économies générées ont davantage bénéficié aux studios et distributeurs qu’aux exploitants. La production et l’expédition d’une seule copie 35 mm pouvait coûter 1 500 $ ou plus, tandis qu’un DCP numérique coûtait 50 $, voire moins. Les studios ont ainsi pu économiser plus d’un milliard de dollars par an sur leurs coûts de distribution.

Des dirigeants du secteur de l’exploitation de 20 pays – dont la France et les États-Unis – se sont réunis pour établir un “manifeste” sur les conditions de cette transition numérique. Il appelait à la définition de standards techniques garantissant compatibilité et interopérabilité, tout en stimulant la concurrence dans la conception du matériel. La plupart de ces exigences ont été intégrées aux spécifications des Digital Cinema Initiatives (DCI), consortium des principaux studios.
Le manifeste réclamait également que studios et distributeurs subventionnent la transition numérique. Divers modèles de “Virtual Print Fee” (VPF) ont été mis en place pour répondre à cette demande, après des centaines d’heures de négociations et quelques débats animés !

En 2012, la majorité des écrans américains était passée au numérique, grâce aux normes établies et aux incitations financières sous forme de VPF. Cette transition a permis une programmation plus flexible, intégrant contenus alternatifs (sports en direct, concerts, opéras) et permettant un déploiement rapide des nouveautés à l’échelle nationale. Elle a également ouvert la voie aux expériences 3D, puis aux formats premium comme l’Imax ou le Dolby Cinema, offrant aux spectateurs de nouvelles raisons de se déplacer.

L’essor du 3D et des expériences premium

À la fin des années 2000, le cinéma 3D a connu un regain, notamment grâce au succès phénoménal d’Avatar (2009). Pendant quelques années, studios et exploitants ont misé sur la 3D pour stimuler l’affluence et justifier des tarifs plus élevés. Deux facteurs ont toutefois freiné son développement sur le long terme : d’une part, seules les productions conçues en 3D native, comme Avatar, offraient un rendu immersif de qualité ; d’autre part, certains exploitants n’assuraient pas correctement l’entretien des lunettes et de l’éclairage  des écrans. La 3D n’a pas disparu à cause d’un désintérêt du public, mais en raison de ces erreurs de production et d’exploitation. Jim Cameron tentera certainement de relancer le phénomène.

Pour autant, la demande d’expériences premium est restée forte. Les cinémas ont investi dans des sièges de luxe, des offres food & beverage améliorées et des systèmes son avancés pour se différencier du visionnage à domicile. Aux États-Unis, la transition aux fauteuils inclinables a modifié l’expérience spectateur et justifié des tarifs premium. Du côté de la restauration, plusieurs exploitants ont lancé des services complets, des comptoirs enrichis, voire des microbrasseries sur place. Les systèmes sonores, notamment Dolby Atmos, ont aussi renforcé l’immersion et la valeur ajoutée de la salle.

En revanche, les écrans Led, encore émergents, suscitent des réserves. Ils offrent certes plus de luminosité et de contraste, mais restent coûteux, énergivores, difficiles à entretenir et incompatibles avec une bonne qualité sonore. Pendant ce temps, la projection laser a connu un développement notable : elle consomme moins d’énergie et améliore la qualité des images par rapport aux anciennes technologies.

Billetterie numérique et technologie mobile

La généralisation des smartphones et des applications mobiles dans les années 2010 a transformé le rapport des spectateurs aux cinémas. La billetterie en ligne est devenue la norme, réduisant les files d’attente et permettant la réservation des places à l’avance. Les programmes de fidélité, promotions personnalisées et interfaces conviviales et intuitives ont renforcé “l’engagement client”, tandis que le marketing digital et les réseaux sociaux amplifiaient la visibilité des nouveautés et événements spéciaux.

Évolution du contenu et des attentes du public

L’âge des blockbusters franchisés

À partir de 2005, les studios hollywoodiens ont misé sur les franchises, les suites et les univers cinématographiques. L’exemple le plus marquant est le Marvel Cinematic Universe (MCU), lancé avec Iron Man en 2008. Ces blockbusters ont dominé les multiplexes, réduisant la visibilité des films indépendants et moyens, qui se sont tournés vers les festivals, les sorties limitées ou les plateformes numériques.

Diversité et inclusion

Si les blockbusters régnaient, la prise de conscience croissante du besoin de diversité, devant comme derrière la caméra, a progressivement fait évoluer les histoires racontées. Des succès comme Black Panther (2018), Crazy Rich Asians (2018) ou Everything Everywhere All at Once (2022) ont montré l’intérêt du public pour une plus diverse représentation. Les cinémas ont commencé à accueillir des films en langues étrangères et à proposer des programmations adaptées aux communautés locales.

L’un des principaux défis pour l’exploitation reste la baisse du nombre et du succès des films indépendants et à budget moyen. Les blockbusters attirent certes du public et génèrent des ventes de confiserie, mais leurs conditions de location restent très favorables aux studios. Entre 2004 et 2019, le nombre de sorties de films du milieu a chuté de 40 % aux États-Unis. Cette tendance s’est poursuivie pendant et après la pandémie.

Avec Attend Theatrical Marketplace, nous visons à réduire ces barrières en facilitant la distribution et la programmation de 200 à 300 films dans les trois ans suivant le lancement complet de la plateforme. L’Espagne pourrait être notre second marché en 2026, avant une expansion mondiale.

Les contenus alternatifs

Grâce à la flexibilité de la projection numérique, les cinémas ont expérimenté le “cinéma événementiel” : retransmissions en direct de spectacles, de concerts, d’événements sportifs ou “pour fans”…  Autant d’initiatives qui diversifient la programmation et permettent de remplir les salles – notamment sur les périodes creuses – et auxquelles la prochaine décennie devra accorder une plus grande attention. Le “event cinema” a encore un considérable potentiel, qui pourra être développé avec de nouveaux accords avec les ligues sportives, les organisateurs de concerts ou de compétitions de jeux vidéo. Les raisons pour lesquelles les spectateurs se rassemblent dans une salle sont bien plus nombreuses que le simple visionnage de films, et le contenu alternatif pourrait représenter bien plus que 1 à 4 % du box-office.

Défis économiques et consolidation

La crise financière de 2008

La crise mondiale de 2008-2009 a fortement affecté les dépenses de loisirs, y compris celles de cinéma. Les recettes du box-office ont chuté, et certains circuits locaux ont dû se battre pour survivre. L’industrie a rebondi grâce aux blockbusters et à l’importance croissante des marchés internationaux.

Consolidation des “mega-circuits”

La pression économique a accéléré les fusions et acquisitions. AMC, Regal et Cinemark ont absorbé des enseignes régionales, uniformisant l’expérience et réduisant la diversité des films ainsi que l’accès de ces derniers aux salles. En revanche, ces mega-circuits ont pu investir dans les technologies de pointe, les formats premium et des programmes de fidélité à échelle nationale.

La révolution du streaming

Concurrence et coexistence

L’essor de Netflix, Hulu, Amazon Prime Video, puis Apple TV+, a bouleversé le paysage. Après les premières années de coexistence tranquille aux côtés des salles, où les plateformes proposaient essentiellement des films anciens, les frontières ont commencé à s’estomper lorsque les contenus originaux sont devenus l’argument-clé du streaming. Dès lors, les fenêtres traditionnelles de 90 jours ou plus ont été remises en cause, et certains studios ont commencé à tester les sorties simultanées cinéma/streaming, d’autant plus que les attentes du public – notamment jeune –, désormais plus habitué à l’accès à la demande, avaient changé… 

L’autre atout majeur des plateformes résidait dans leur capacité à investir massivement pour attirer des cinéastes de renom vers leurs services. Mais ce flux financier s’est récemment tari. Plus significatif encore, Amazon et Apple ont compris qu’une sortie exclusive en salle favorise le bouche-à-oreille et contribue à installer une marque autour de leurs films, renforçant ainsi le succès de leurs plateformes. Des données évidentes que Netflix, de son côté, semble toujours vouloir ignorer.

Crise sanitaire et crise des cinémas (2020–2021)

Aucun événement n’a plus perturbé le secteur que la pandémie de Covid-19. Suite à leur fermeture forcée, certains cinémas n’ont jamais rouvert. Si la plupart ont pu survivre, c’est grâce à des mesures de réduction de coûts, aux protocoles sanitaires mises en place et aux aides fédérales. Grâce aux efforts de lobbying de la Nato, les cinémas indépendants et de taille moyenne ont en effet obtenu plus de 2 milliards de dollars de soutien gouvernemental, tandis que la grande exploitation a pu profiter de réductions fiscales. Studios, réalisateurs, producteurs… L’ensemble de la filière s’est mobilisée pour préserver l’expérience 

Reprise (2022–2025)

Avec la vaccination et la levée des restrictions, les cinémas ont entamé une reprise lente et inégale. Si les blockbusters ont récupéré leur public – tels que les nouvelles productions du MCU et les suites emblématiques comme Top Gun : Maverick (2022) –, les films du milieu destinés à un public adulte ont eu du mal à retrouver leur fréquentation d’avant la pandémie.

Les circuits de cinéma ont réagi en misant sur davantage sur les expériences premium, en élargissant leurs offres food & beverage, et en organisant davantage d’événements spéciaux. Parallèlement, le débat sur les fenêtres de diffusion est entré dans une nouvelle phase, que je qualifierais de dangereuse, studios et exploitants négociant au cas par cas des accords flexibles pour maximiser à la fois les revenus en salle et sur les plateformes.

Innovation et futur du cinéma

Luxe et personnalisation

Pour attirer le public, les cinémas ont investi dans les fauteuils inclinables de luxe, les repas à la place, les réservations de sièges et cinémas “boutique”. À la recherche de nouvelles propositions de valeur face au streaming, certains ont expérimenté des abonnements mensuels illimités (MoviePass, AMC Stubs A-List). 

Technologie et expériences immersives

Projection laser, sièges 4DX, réalité virtuelle… Tout au long des années 2020, les cinémas ont continué d’adopter des technologies impossibles à reproduire à la maison, renforçant le rôle social et mais également l’attrait sensoriel du cinéma.

Communautés et programmation de niche

Les cinémas indépendants et les circuits régionales tendent de plus en plus à devenir des  des “tiers lieux” à la programmation élargie. Les projections de répertoire, les rencontres avec les réalisateurs et les festivals offrent des alternatives aux multiplexes grand public, favorisant la constitution de communautés de cinéphiles et célébrant l’histoire du cinéma.

Durabilité et accessibilité

La montée en puissance des préoccupations sociétales autour de l’écologie a incité les cinémas à investir dans des systèmes de projection moins énergivores, à réduire leurs déchets et à améliorer leur accessibilité. Ces vingt dernières années, les exploitants américains se sont particulièrement mobilisés pour faciliter l’accueil des personnes à mobilité réduite, équiper les salles de dispositifs d’aide à l’écoute, de sous-titrage et de description vidéo pour les publics sourds et aveugles, et proposer des séances adaptées aux spectateurs autistes ou sensibles à la lumière.

La route à suivre

Entre 2005 et 2025, l’industrie cinématographique américaine a traversé bouleversements et renouveau. Du film analogique au numérique, de la domination des franchises à la disruption du streaming, de la crise pandémique à la résilience adaptative, les salles ont survécu en évoluant.

Certes, le modèle du multiplexe peine à retrouver la place qu’il occupait au XXe siècle. Mais l’attrait durable de l’expérience collective et immersive assure aux salles de rester un pilier du divertissement américain. Les défis à venir – économiques, technologiques et culturels – seront nombreux, mais les opportunités d’innovation et de réinvention le sont tout autant. Si les deux dernières décennies ont prouvé une chose, c’est que l’attrait du grand écran, sous toutes ses formes en évolution, est destiné à perdurer pour les générations à venir.

John Fithian

Tous les articles « 20 ans de » sont à retrouver ici.

John Fithian © Nato

Les News