20 ans de… cinéma en Europe

Laura Houlgatte © Unic

À l’occasion du 500e numéro – et des 20 ans d’existence – de Boxoffice Pro (ex-Côté Cinéma), la rédaction propose de replonger dans les mutations de l’exploitation cinématographique de ces vingt dernières années, à travers la plume et la parole d’acteurs ou d’observateurs de la filière. Focus sur les évolutions qui ont marqué le cinéma européen avec Laura Houlgatte, directrice de l’Unic. 

Dossier à retrouver en intégralité dans le Boxoffice Pro du 22 septembre 2025

« Chaque pays s’inspire aussi de ses voisins »
Laura Houlgatte, directrice de l’Union internationale des cinémas (Unic)

Quand Boxoffice Pro m’a proposé d’écrire un article pour retracer les évolutions majeures de l’exploitation au cours de ces vingt dernières années, je me suis inévitablement replongée dans mes souvenirs d’adolescente. 

Ayant grandi dans un tout petit village de province, avec des transports limités, le cinéma était, avant tout, la principale activité culturelle qui m’était accessible – souvent avec des amis ou mes parents, parfois seule (bien qu’on ne soit jamais vraiment seule dans une salle de cinéma !). Un simple coup d’œil à la liste des films sortis en salle cette année 2005 (de La Chute à Million Dollar Baby, des Âmes Grises à Kingdom of Heaven, en passant par Aviator et A History of Violence) me confirme que j’y passais une grande partie de mon temps libre – un bon usage de mes chèques culture de l’époque. Mention spéciale aux Noces Funèbres, dont la bande-son a tourné en boucle pendant des mois dans ma chambre !

Le Rex, un cinéma de trois salles, installé dans une Maison des Oeuvres en centre-ville de Montbrison, commençait tout juste à projeter des films en version originale. Pas de pop-corn ni de boissons exotiques, juste quelques glaces. On achetait le billet sur place et on consultait la programmation dans le journal local. L’écran de la salle 3 était connu pour être de dimension très, très modeste. 

Autant dire que cette année-là, j’eu un choc en découvrant pour la première fois les cinémas londoniens : la taille des écrans, l’impressionnant étalage de confiseries et le temps dédié à la réclame et aux bandes-annonces. Aujourd’hui, Le Rex, déplacé hors du centre-ville, est résolument moderne, offre la billetterie en ligne et possède même un Ciné Kafé. J’y retourne encore, par nostalgie, lors de mes visites familiales.

Mais assez parlé de moi. Quid de la vision d’ensemble en Europe ? 

Quelques chiffres clés

En 2005, l’Union européenne comptait 25 États membres et produisait 798 longs métrages. On enregistrait 892 millions d’entrées, un box-office de 5,2 milliards d’euros, 25 % de parts de marché pour les films européens, un prix moyen du billet à 5,7 €, Harry Potter et la Coupe de feu était numéro 1 au box-office, et l’Europe comptait 33 025 écrans.

En 2024, l’Union des 27 a produit 1 730 films, généré 643 millions d’entrées et 6,2 milliards au box office (UE + Royaume-Uni). La part de marché des films européens a atteint 32,8 %, le prix moyen du billet est de 7,90 €, et Vice-Versa 2 est en tête du box-office. L’Europe compte aujourd’hui 40 018 écrans. 

Ces chiffres masquent des réalités bien diverses. Si la fréquentation a baissé dans des pays comme l’Espagne, la Suède, l’Allemagne ou le Luxembourg, elle a explosé dans d’autres pays en croissance : +195 % en Estonie, +115 % en Pologne et +295 % en Roumanie. Le box-office a aussi évolué favorablement dans bon nombre de pays, avec par exemple +17 % en Allemagne, +46 % en Irlande et +27 % au Royaume-Uni.

Au-delà des nombres : les évolutions du paysage cinématographique

Sur le plan structurel, de nombreux changements se sont opérés et se poursuivent – consolidations au gré des fusions et acquisitions, expansions dans et en dehors de l’Europe pour un certain nombre de groupes, verticalisation des activités, explosion du streaming. Rappelons qu’en 2005, Netflix n’était encore qu’un service de “DVD by mail” !

L’expérience cinéma a également été profondément transformée, tant sur le plan technologique que dans l’accueil des publics et la programmation, offrant aujourd’hui une gamme de choix sans précédent. Citons bien sûr la transition au numérique – au-delà de la qualité d’image, de la plus grande agilité en matière de distribution et de programmation, elle a ouvert la voie à l’expérience premium, qui se décline sous diverses formes : son, sièges, écrans… et offre confiserie et restauration bien sûr !

L’expérience se veut toujours plus immersive et variée. On peut aujourd’hui regarder un film en ayant l’impression d’être dans un parc d’attraction, dîner en salle et à son siège (qui peut être un recliner ou même un canapé!), participer à une séance de tricot pendant la projection, prendre part à un speed dating et même aller à une séance spéciale bébés/parents ! Et sur l’écran ? Des films bien sûr, mais aussi des événements sportifs, musicaux ou même des jeux vidéo. 

Et chaque pays s’inspire aussi de ses voisins  – si en 2005, la Fête du Cinéma existait déjà depuis 20 ans en France, ce n’était pas le cas dans d’autres pays d’Europe. Depuis, le concept s’est étendu, de la Fiesta del Cine espagnole au KinoFest allemand, de Cinema in Festa en Italie à Swieto Kina en Pologne. 

Le marketing digital, le rôle des réseaux sociaux pour la promotion des films et des salles, la billetterie en ligne, l’analyse des données spectateurs sont également des éléments clés. Tout ceci signifie que les cinémas font face à des enjeux d’investissements cruciaux (et conséquents !) pour assurer leur avenir et attirer les publics : investissements pour adapter les salles, améliorer l’expérience et être plus verts.

Et quid de l’exclusivité en salles ? La France, avec sa chronologie des médias unique, demeure un cas particulier en Europe. Entre expérimentations de sorties simultanées, contournement des salles et réduction des fenêtres d’exclusivité, cette chronologie a été mise à mal ces dernières années. Pourtant, elle reste essentielle pour les salles, pour l’industrie cinématographique et pour le public. Il faut donc se réjouir de voir des films initialement prévus pour le « home experience » prendre le chemin du grand écran, des sociétés comme Apple et Amazon faire le choix de la salle obscure, et (certains) studios continuer à accorder une importance capitale à une période d’exclusivité suffisamment longue, en souhaitant que cela perdure. 

On ne peut évoquer ces 20 dernières années sans parler de la pandémie de Covid-19. Cette crise, qui a contraint les salles à fermer pendant de longs mois, suivie de périodes de restrictions, semble presque irréelle aujourd’hui. Elle a aussi démontré la résilience des exploitants et la pérennité de l’amour du public pour le cinéma. 

De nombreux défis subsistent bien sûr et de nouveaux sujets sont apparus : l’impact des grèves des scénaristes et des acteurs, une offre de films et une diversité des œuvres parfois insuffisante, écologie, intelligence artificielle, augmentation des coûts d’exploitation, recrutement – sans oublier les défis politiques car le cinéma n’évolue pas en vase clos : une Union européenne à 27, le Brexit, la guerre en Ukraine, la montée du populisme, Trump pour ne citer que ceux-ci. 

Et aujourd’hui ? 

Qu’est-ce qui caractérise finalement le marché européen aujourd’hui ? Sans aucun doute sa diversité : du mono-écran en campagne italienne au cinéma-boutique à Londres, en passant par le megaplex de Madrid. Indépendants, cinémas art et essai, circuits commerciaux, petites, moyennes et grandes exploitations, tous jouent un rôle essentiel pour le spectateur, qui dispose de plus de choix que jamais pour ses loisirs. 

Cela étant, des constantes demeurent : la salle de cinéma est, et reste, un lieu de vivre-ensemble, de partage d’émotions, une expérience collective et humaine d’autant plus primordiale aujourd’hui dans un monde de plus en plus connecté, mais paradoxalement solitaire. Un lieu et une activité essentielle que je suis heureuse de représenter et de défendre aujourd’hui en tant que directrice de l’Unic. 

Laura de 2005 serait sans doute un peu décontenancée de ce choix de carrière (mon rêve de l’époque était diplomate ou historienne), mais sans aucun doute aussi très fière ! 

Laura Houlgatte

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