À l’occasion du 500e numéro – et des 20 ans d’existence – de Boxoffice Pro (ex-Côté Cinéma), la rédaction propose de replonger dans les évolutions et mutations de l’exploitation cinématographique de ces vingt dernières années, à travers la plume et la parole d’acteurs ou d’observateurs de la filière. Christian Landais, délégué général de l’ADRC, évoque les mutations du parc de salles et de son architecture.
Dossier à retrouver en intégralité dans le Boxoffice Pro du 22 septembre 2025
« C’est en développant des solutions innovantes pour des cinémas éco-responsables, que l’on pourra accompagner une nouvelle rencontre des publics et des œuvres »
Christian Landais, architecte et délégué général de l’ADRC
En 2005, L’Enfant des frères Dardenne avait obtenu la Palme d’Or à Cannes et plusieurs films populaires avaient marqué le box-office : Les Bronzés 3, Harry Potter et la Coupe de Feu, Les Choristes, Star Wars III. Leur diffusion s’opérait notamment au sein de multiplexes qui, à partir des années 2000, ont fortement marqué l’exploitation avec des effets de concentration, mais ont permis de relancer la fréquentation nationale et initié une modernisation générale du parc de salles. Pour ma part, dix ans après mon arrivée à l’ADRC, qui avait été fortement restructurée en 1999 pour agir au plus proche des territoires (films et salles), nous avions organisé un département Études afin de mieux accompagner les exploitants indépendants et les collectivités dans leurs projets de cinémas.
En effet, le développement du multiplexe, avec une stratégie extensive – plus de salles, de volumes, de fauteuils, de qualité de confort avec de grandes tailles d’écran, plus de films et de séances – provoquait alors des tensions avec les salles de proximité qui s’étaient maintenues, souvent avec l’appui des collectivités, pour conserver une offre cinématographique en centre-ville. Ces cinémas, souvent classés art et essai, devaient trouver le moyen de réagir face à cette concentration, pour renouveler leur attractivité auprès du public (mise aux normes, confort, modernisation).
Le développement des multiplexes, et la réponse des salles de proximité
Les multiplexes, rayonnant sur une vaste échelle géographique, se sont implantés le plus souvent en zone de périphérie urbaine. Moins contraints par un foncier dense, ces cinémas reprenaient les modes constructifs des centres commerciaux, avec structures poteaux-poutres et façades en bardage. Ce modèle a permis de construire à moindre coût (foncier, construction) de grands volumes avec une forte fonctionnalité. Développant un haut niveau de performances techniques, ils utilisaient des cloisons acoustiques pour répondre aux exigences qualitatives des cinémas. Cette mutation correspondait à une modélisation économique (zones commerciales, blockbusters…) et à une concentration de l’offre, ne répondant pas à toute la complexité des demandes du public. Néanmoins, elle a permis une nouvelle adhésion du public à la sortie en salle, le recours à des architectes renommés (Renzo Piano, Alberto Cattani, Christian de Portzamparc, Valode et Pistre, etc.), et a ainsi redonné une nouvelle visibilité à la salle de cinéma dans les médias.
Malgré cette concentration économique, une très grande partie du parc se situe toujours dans des villes petites et moyennes, qui souvent ont pu conserver leurs cinémas grâce à l’intervention des collectivités. Ce sont ces salles qui permettent le renouvellement du public par l’accueil des dispositifs scolaires, le maillage du territoire et de l’offre culturelle par la diffusion des films art et essai, et toute action de médiation permettant la mise en relation des publics et des films. Face au développement des multiplexes, les cinémas de proximité ont réagi positivement, souvent avec l’appui de l’ADRC, en se modernisant globalement pour offrir une offre cinématographique de nouvelle génération : écrans plus grands, niveau de confort accru (fauteuils fixes, écart de rang, confort visuel), qualité technique. Enfin, la force de ces salles étant la rencontre, l’échange, l’animation et l’action culturelle, leurs espaces d’accueil reflètent cette identité : ils se différencient par rapport aux “salles des pas perdus”, en étant des lieux en dialogue avec leur public, et leur territoire.
L’année 2005, c’est aussi la publication de la loi Handicap avec l’objectif de rendre l’ensemble des ERP accessible à tous les publics. Cette démarche vertueuse, mais consommatrice d’espace, a rendu obligatoire une modernisation des cinémas existants, des restructurations, voire un transfert sur un nouveau lieu.
Révolution numérique et nouveau modèle économique
En 2010, le passage à la projection numérique a radicalement transformé la filière. Outre une révolution technique, elle impliquait un nouveau modèle économique et d’autres modes de fonctionnement. Le passage au numérique a vu l’augmentation des titres produits et avec la fin des VPF, les distributeurs ont eu des exigences fortes en nombre de séances et plein programme. Ces nouveaux comportements ont eu pour conséquence de nombreux projets d’extension pour la petite exploitation (de 1 à 2 ou 3 écrans), pour répondre à la fois à la demande du public et aux exigences des distributeurs, et maintenir une offre diversifiée, tout en présentant des films porteurs.
Bien que relançant la fréquentation à plus de 200 millions d’entrées, l’attractivité des cinémas en périphérie a provoqué une désaffection du public de centre-ville. Dès 2016, l’État pointe un état de vacation commerciale important dans les villes moyennes, et met en place le programme Action Cœur de Ville (villes moyennes) puis Petites Villes de Demain, pour retrouver commercialité et redynamisation des centralités. Les cinémas, à la fois vecteurs d’offre culturelle et d’équipement commercial, participent clairement de l’animation de ces villes. On peut citer la commune d’Agen qui a porté un quartier de cinémas en centre-ville en facilitant, sur la même place, la création d’un multiplexe privé et la construction d’un établissement art et essai de gestion associative.
Car la salle de cinéma reste un lieu moteur, souvent seule activité de loisirs ou de culture dans les petites villes, et vecteur de flux pour la dynamique commerciale. L’ADRC accompagne ces projets en étant partenaire de l’ANCT [l’Agence nationale de la cohésion des territoires] pour les projets qui lient collectivités et exploitants. Dans de nombreux cas, ces cinémas de centre-ville intègrent des démarches d’ouverture à l’espace public en y associant des espaces de type tiers-lieu. On le sait, le retour du public en salles s’opère par l’animation, ce qui renouvelle une demande de proximité accrue depuis la crise sanitaire. Ces établissements disposent d’espaces permettant un élargissement des pratiques et des usages. On peut citer le projet de Guipry-Messac qui associe un cinéma associatif de deux écrans et une micro-folie, avec une construction éco-responsable fondant ainsi une nouvelle centralité.
L’enjeu des cinémas en 2025 est, en effet, la transition écologique. Il s’agit d’engager une démarche transversale entre mobilité du public, implantations, logique fonctionnelle, matériaux, limitation énergétique, végétalisation, réemploi, modération numérique, déchets, communication. Des projets ont décliné ces enjeux à Colomiers (terre crue), à Auch (l’extension en bois et paille du Ciné 32), ou encore à Aire-sur-l’Adour (transformation d’une piscine). C’est en développant des solutions innovantes, pour des cinémas éco-responsables et durables, que l’on pourra accompagner une nouvelle rencontre des publics et des œuvres, objectif des passeurs d’images que sont les salles de cinéma.
Et depuis 20 ans, Boxoffice Pro et son équipe accompagnent ces mutations de la filière ! Bon anniversaire !
Christian Landais


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