20 ans de… vie des cinémas

Figures de l'exploitation bretonne, Martine et Gérard Hoffmann ont pris leur retraite en 2024, en cédant leurs cinémas à Cinéville © Camille Andre

À l’occasion du 500e numéro – et des 20 ans d’existence – de Boxoffice Pro (ex-Côté Cinéma), la rédaction propose de replonger dans les évolutions et mutations de l’exploitation cinématographique de ces vingt dernières années, à travers la plume et la parole d’acteurs ou d’observateurs de la filière. Retour sur la vie des salles à travers le regard de Martine et Gérard Hoffmann, exploitants historiques en Bretagne.

Dossier à retrouver en intégralité dans le Boxoffice Pro du 22 septembre 2025

« En 20 comme en 40 ans d’exploitation, l’humain a toujours été au centre de nos préoccupations »
Gérard et Martine Hoffmann, ex-exploitants du Club 6 et du CinéLand (Côtes-d’Armor)

Pour le couple bien connu de l’exploitation bretonne, ces 20 dernières années coïncident à la fois avec la création de leur multiplexe CinéLand et avec la moitié de la vie du Club 6. Deux salles de l’agglomération de Saint-Brieuc, aux typologies différentes, mais portées par une même vision, sur laquelle les Hoffmann – réunis dans les Côtes-d’Armor depuis la fin des années 1980 – reviennent.

En 2004, le CinéLand de Trégueux sort de terre : neuf écrans, 1 600 fauteuils et l’aboutissement d’un projet nourri de longue date. Mais avant d’en arriver à l’effervescence du multiplexe, les années 1990 ont été plus sombres. « Quand Martine et moi entrons dans l’exploitation, au milieu des années 1980, nous sommes en pleine crise de fréquentation, qui nous mènera aux 116 millions d’entrées de 1992 [le plus faible résultat jamais enregistré par les salles françaises, hors 2020 et 2021 ndlr.] », se souvient Gérard Hoffmann. À cette époque, le couple reprend Le Griffon, un quatre-salles de Saint-Brieuc, en concurrence avec le Club 6, détenu par la Soredic. « Les élus locaux nous répétaient que seul l’un de nous deux survivrait. » 

Mais la tendance nationale s’inverse à partir de 1993, qui coïncide avec l’arrivée du premier multiplexe en France, le Pathé Grand Ciel de Toulon. Le couple se joint à la vague de constructions, et envisage dès 1997 son propre projet. Celui-ci ne verra le jour que sept ans plus tard, après une association avec la Soredic, qui projetait également d’installer son propre site. Une manière d’éviter de « reproduire la même erreur qu’à Lanester, dans le Morbihan, où deux multiplexes se sont retrouvés face à face, à perte ». La Soredic, détenue alors par Philippe Paumelle entre au capital de Cinécrans, la société des Hoffmann, à hauteur de 40 %, et leur “lègue” son Club 6, ce qui entraînera la fermeture du Griffon quelques mois plus tard. 

Un lieu à l’avant-garde du premium…

L’ouverture du CinéLand confirme la conviction du couple : « Nous avons toujours cru dans les multiplexes ». Le cinéma atteint très vite son rythme de croisière (450 000 entrées) et, à l’occasion de ses cinq ans, passe au numérique et devient le premier multiplexe breton à proposer la 3D, enregistrant des entrées record sur Avatar. L’innovation se prolonge en 2016 avec l’ajout d’une dixième salle, de 583 fauteuils, dotée d’un immense écran de 24 mètres de base – l’un des plus grands hors Imax – et du son Dolby Atmos. « Ça n’a pas manqué de surprendre. Et pour événementialiser davantage cette salle, nous la mettions en plein programme en vacances scolaires, mais ne la gardions ouverte que 7 à 8 séances par semaine en dehors de ces périodes. » La salle “premium Hoffmann”, au même tarif que les autres, « donne un nouveau standing au CinéLand », qui finit par tutoyer les 600 000 entrées. 

… misant sur une forte médiatisation

La stratégie des Hoffmann s’appuie sur une forte événementialisation, pilotée par Martine : « Nous avons multiplié les avant-premières. Et si les équipes de films se laissaient convaincre de venir jusque dans les Côtes-d’Armor grâce à la force de persuasion de Gérard, elles étaient toujours impressionnées de découvrir ce type de salles en province. » Le public, lui, « ne s’est jamais lassé de ces événements, tant il y avait une communion avec les invités ». D’autant plus que les exploitants pouvaient compter sur une équipe forte de propositions, qui poussait pour organiser des soirées thématiques (autour de Star Wars, Marvel…). En outre, la salle 10 est également devenue, au fil des années, un lieu B2B mis à disposition pour des réceptions. Elle devait aller de pair avec un nouveau hall qui, malheureusement, n’a jamais vu le jour : « L’entrée n’était pas assez grande pour s’accorder avec la taille de la grande salle. Nous avons réfléchi à créer un lieu multi-culturel, mais la pandémie nous a stoppés dans notre élan. Si le projet avait pu être concrétisé, le hall aurait été agrandi de 500 m² ! » 

Le CineLand

Le Club 6, pilier art et essai

Quelques kilomètres au nord et en plein cœur de la ville, le Club 6 que les Hoffmann ont donc acquis en 2004 auprès de la Soredic devient, en 20 années, la vitrine art et essai de Saint-Brieuc, fort des trois labels historiques et membre précoce d’Europa Cinemas. « Chaque semaine, nous y sortions autant de films qu’au CinéLand, et réalisions environ 100 000 entrées par an. » Et ce grâce, notamment, à une équipe formée en interne en contact avec des associations locales, et les nombreux festivals et conférences thématiques qui sont organisés, permettant de fidéliser un public qui, aujourd’hui encore, fait vivre le cinéma.

Connaître son terrain et garder le lien

Pour les Hoffmann, le concept de la salle, malgré les évolutions technologiques, n’a pas changé depuis l’arrivée du multiplexe. En revanche, la vraie révolution reste les réseaux sociaux : « Il faut désormais vendre le cinéma de l’extérieur » ; dans leur cas, les exploitants reconnaissent avoir eu « de la chance d’être en situation de monopole ». Mais ils assurent qu’ils n’ont pas pu en arriver là sans le contact qu’ils ont tissé avec leur public et leurs équipes, en 20 comme en 40 ans, leur permettant de devenir et rester ce lieu à l’avant-garde de la technologie, de l’écologie ou encore de la programmation. Ce même lien qu’ils voient disparaître avec « la linéarisation du métier qui ne s’adapte plus aux spécificités locales », mais dont ils assurent que « de notre entrée au Griffon à notre retraite en 2024*, il a toujours été au centre de nos préoccupations ».

* En 2024, le CinéLand et le Club 6 sont entrés dans le réseau Cinéville de la Soredic, désormais dirigé par Yves Sutter.

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Figures de l'exploitation bretonne, Martine et Gérard Hoffmann ont pris leur retraite en 2024, en cédant leurs cinémas à Cinéville © Camille Andre

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