À l’occasion du 500e numéro – et des 20 ans d’existence – de Boxoffice Pro (ex-Côté Cinéma), la rédaction propose de replonger dans les évolutions de l’exploitation cinématographique de ces vingt dernières années, à travers la plume et la parole d’acteurs ou d’observateurs de la filière. Focus aujourd’hui sur une saga française au service du 7e art.
Dossier à retrouver en intégralité dans le Boxoffice Pro du 22 septembre 2025
Depuis deux décennies, Canal+ a profondément marqué le cinéma en France et au-delà. Chaîne premium, producteur, distributeur, exploitant, acteur publicitaire et, désormais, candidat au contrôle de l’un des premiers circuits hexagonaux, le groupe a accompagné et parfois bousculé l’écosystème. Retour sur une relation riche, faite de passion, de stratégie et de tensions.
Un contexte brûlant : Canal+ et UGC main dans la main
Début septembre 2025, Canal+ a annoncé être entré en négociations exclusives pour acquérir 34 % du capital d’UGC, avec la perspective d’une prise de contrôle en 2028. L’opération a fait grand bruit : elle marquerait une nouvelle étape dans le rapprochement entre deux partenaires de longue date. UGC, ce sont 55 cinémas, dont l’UGC Ciné Cité Les Halles à Paris – le plus fréquenté au monde – et un catalogue emblématique, des Bronzés à Amélie Poulain. Pour Canal+, c’est l’occasion d’arrimer son pôle Studiocanal à un exploitant de premier plan et de renforcer son ancrage dans toute la chaîne de valeur du cinéma.
L’ombre d’AlloCiné
Pour comprendre cette trajectoire, il faut revenir au début des années 2000. Canal+ s’intéresse alors de près à la révolution numérique et rachète AlloCiné en 2000 via sa filiale CanalNumédia. Le site est rapidement intégré dans l’écosystème Vivendi, mais l’expérience sera de courte durée : en 2003, le groupe cède AlloCiné, préférant se recentrer. L’épisode témoigne pourtant d’une intuition juste : l’importance de contrôler les canaux d’information et de prescription pour le cinéma.
Studiocanal, la mini-major européenne
Dans la foulée, Canal+ mise tout sur son bras armé, Studiocanal, qui deviendra en deux décennies la principale mini-major européenne. Le studio produit et distribue aujourd’hui près de 200 films et 80 séries par an. Il a constitué un catalogue impressionnant, le plus vaste d’Europe, où l’on retrouve des œuvres de patrimoine et des franchises internationales comme Paddington ou Bridget Jones. Ce positionnement unique a permis à Canal+ de se poser en véritable alternative aux studios américains, avec une capacité d’exportation rare sur le Vieux Continent.
Du linéaire au streaming
La relation de Canal+ au cinéma ne se limite pas à la production et à la diffusion télévisée. Dès la fin des années 2000, le groupe investit massivement dans les chaînes thématiques Ciné+, puis dans le numérique. La plateforme myCANAL lancée en 2013 devient l’un des piliers de sa stratégie OTT. En 2024, l’acquisition d’OCS vient consolider cette offre, donnant naissance au bouquet Ciné+ OCS, pensé comme le hub cinéma de référence. Dans un marché où Netflix, Disney+ et Amazon Prime ont imposé leurs standards, Canal+ continue d’affirmer sa spécificité : rester l’allié du cinéma en salle, tout en étant un acteur incontournable du streaming avec sa plateforme dont la marque est devenue Canal+, tout simplement, en juin dernier, marquant ainsi le caractère central de cette offre dans la stratégie du groupe.
Partenariats publicitaires et abonnements croisés
Canal+ a également investi le champ de la publicité au cinéma. Depuis une quinzaine d’années, l’ex filiale de Vivendi est présente sur ce marché, essentiellement en partenariat avec UGC. Ensemble, les deux groupes ont imaginé des solutions intégrées, combinant ventes d’espaces en salles et offres packagées avec les chaînes du groupe. Plus récemment, des abonnements conjoints ont vu le jour, permettant aux spectateurs d’associer un pass UGC illimité et un abonnement Canal+ à tarif préférentiel. Ces initiatives témoignent d’une relation déjà structurée, que l’entrée au capital vient aujourd’hui consacrer.
Les tensions de la chronologie des médias
Cette proximité n’a pas empêché les frictions. Canal+ a longtemps bataillé sur la chronologie des médias, contestant un système jugé trop rigide face aux plateformes. En 2021, un accord historique permet au groupe de diffuser certains films six mois après leur sortie salle, avec une exclusivité de neuf mois. Cette avancée a marqué une victoire pour la chaîne cryptée, même si le débat encore l’an dernier est resté vif à mesure que le marché se reconfigure.
L’aventure CanalOlympia
Au-delà de l’Europe, Canal+ s’est aussi engagé dans l’exploitation directe de salles à travers son réseau CanalOlympia, implanté dans plusieurs capitales et grandes villes africaines. Ces complexes mêlent cinéma et spectacle vivant, offrant un modèle hybride qui illustre l’ambition internationale du groupe. Une manière de prolonger l’histoire d’amour de Canal+ avec le cinéma, en s’adressant à de nouveaux publics.
Une recomposition du paysage français
Quelques mois après l’annonce de l’arrivée de la famille Saadé dans Pathé, c’est un autre séisme qui s’annonce avec l’entrée de Canal+ chez UGC. Ces mouvements traduisent une recomposition en profondeur du paysage du cinéma français : des acteurs puissants, dotés de moyens financiers conséquents, s’impliquent désormais directement dans l’exploitation. Pour les salles, pour les talents et pour l’ensemble de la filière, c’est la promesse d’une visibilité accrue et d’un rayonnement international renforcé.
En vingt ans, Canal+ aura accompagné toutes les mutations du cinéma : des sites web aux plateformes de streaming, des catalogues patrimoniaux aux franchises mondiales, des multiplexes africains aux négociations sur la chronologie des médias. L’histoire commune avec UGC, qui prend aujourd’hui une nouvelle dimension, montre à quel point la frontière, entre diffuseurs, producteurs et exploitants, est désormais plus poreuse que jamais. Le cinéma français, porté par de tels alliés, entre dans une nouvelle ère où tradition et innovation avancent de concert.


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