Lumière 2025 : Entretien avec Anaïs Desrieux et Gérald Duchaussoy (MIFC)

Anaïs Desrieux et Gérald Duchaussoy © MIFC

Au Festival Lumière de Lyon, le Marché international du film classique réunit, du 14 au 17 octobre, les professionnels travaillant sur les films de patrimoine – en salles, sur tous les supports et partout dans le monde. Le travail avec les exploitants, notamment avec l’ADRC et l’Afcae, mais aussi l’innovation sont au cœur des préoccupations des co-directeurs du MIFC, Anaïs Desrieux et Gérald Duchaussoy. 

Vous avez repris la co-direction du MIFC cette année, que vous connaissiez bien. Avec quelles envies ?

Anaïs Desrieux : Gérald a participé à la création du marché en 2013, dont j’ai rejoint l’équipe en 2017. Nous sommes donc habitués à travailler ensemble et avons été nommés en binôme pour prendre la relève de Juliette Rajon. Dans un esprit de continuité et avec les mêmes objectifs, dont le renforcement de la fréquentation, de l’internationalisation, en consolidant des atouts comme l’innovation ou la présence d’étudiants européens, venus cette année de six écoles différentes.

Gérald Duchaussoy : Le travail avec les exploitants, présents dès le début du MIFC, se développe avec deux jours qui leur sont dédiés. Les rencontres ADRC-Afcae s’y intègrent, mais tous les exploitants peuvent venir et participer aux différents rendez-vous du marché, de même que tous les accrédités du marché peuvent se rendre aux projections “exploitants” au Lumière Bellecour. De façon plus générale, au-delà de nos rendez-vous réguliers, Anaïs a initié il y a trois ans les “Re>Birth programmes” autour de nouvelles restaurations, qui sont soit montrées pour la première fois au Festival Lumière, soit en cours et présentées à des acheteurs potentiels. Il s’agit aussi de montrer l’innovation des laboratoires, y compris avec notre “Classics Innovation Corner”, pour une visibilité plus forte des industries techniques au service de la filière.

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Peut-on parler d’innovation au sujet de films de patrimoine ?

G.D. : Nous sommes passés, ces dernières années, de la pellicule à la HD, puis du 2K au 4K, et les mutations s’accélèrent aujourd’hui. Les salles s’équipent en projection laser, tandis que la demande des télés 4K a fortement baissé ; les plateformes se développent, mais le support physique reste très important pour nous. Nous voulons donc être à l’écoute de tous les professionnels qui développent des solutions innovantes : c’est intéressant, justement, de parler d’avenir et d’innovation pour les films de l’histoire du cinéma. 

Cette notion d’avenir sera aussi au centre de la table ronde, organisée à l’occasion des 70 ans de l’Afcae…

G. D. : Avec Thierry Frémaux, nous partageons l’idée que le patrimoine fait partie de l’avenir du cinéma en général. Le patrimoine que l’on connaissait il y a 30 ans, avec des copies défraîchies qui tournaient après leur exploitation à Paris, est terminé. Aujourd’hui, si la qualité de projection peut varier selon la salle, la qualité des copies est exceptionnelle. Il faut donc savoir comment les exploitants, et les institutions que sont l’Afcae, l’ADRC en soutien et la Cicae au niveau international, s’en emparent pour aller à la conquête des publics. Et au sein du marché, nous nous posons les mêmes questions.

A. D. : Nous voulons refléter les grandes discussions qui se tiennent au sein de l’industrie. Ainsi, nous aurons un gros axe sur l’audiovisuel cette année, parce que le rapport de Michel Gomez doit être remis en octobre [mission confiée à l’ancien directeur de la Mission Cinéma de la Ville de Paris, sur la préservation et la valorisation du patrimoine audiovisuel, ndlr]. Au niveau européen, la Commission a fait cet été une première annonce sur le projet de fusion de programmes européens dans l’AgoraEU… dont on sait peu de choses. L’idée est justement de prolonger les discussions entre les acteurs concernés.

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Le choix des invités d’honneur s’inscrit-il aussi dans l’actualité internationale ?

A. D. : Ce sont trois personnalités très différentes, qui reflètent aussi la pluralité du marché. Gaëtan Bruel sera le premier président du CNC à venir au MIFC, pour parler uniquement de patrimoine. C’est également la première fois que YouTube sera représenté, et cela coïncide avec leurs 20 ans, l’âge d’une génération… et celui que doit avoir un film pour entrer dans la “catégorie patrimoine” ! Mais c’est d’abord la plus grande vidéothèque au monde, qui propose son propre contenu, et il sera très intéressant d’en parler avec Justine Ryst. Et bien sûr, Andréa Kalas, de par son parcours, qui est notamment passée par Discovery Channel et Dreamworks, mais aussi au BFI, qui a été une institution publique et européenne, avant de travailler sur les médias et archives chez Iron Mountain.

G. D. : Ces grands témoins font aussi le lien avec l’international, sur lequel on travaille beaucoup. Même si les distributeurs et les exploitants de patrimoine sont davantage français, nous désirons travailler avec des distributeurs qui viennent d’Europe. Plus largement, nous avons cette année un stand taïwanais, un de l’Amérique du Sud, un représentant du Brésil, un show case en partenariat avec l’Institut français, la Cinémathèque d’Afrique et RFI, pour le lancement d’une série de podcasts intitulé “Cinéastes d’Afrique”, sans oublier un film sénégalais de 1975, Njangaan de Mahama Johnson Traoré, dans le programme “Re>Birth”. Parce nous sommes persuadés qu’il y a des marchés émergents avec lesquels il faut travailler.

Au-delà de Youtube, une table ronde sera consacrée aux plateformes, y compris AlloCiné qui vient de lancer son label “Classiques”…

A. D. : Toutes ces plateformes jouent un rôle différent et capital. Chacune aura un temps de parole : LaCinetek pour ses 10 ans, Sooner qui marque la fusion entre UniversCiné et FilmoTV. Pour AlloCiné Classiques, qui n’est pas vraiment une plateforme, c’était le meilleur endroit pour cette annonce qui a son importance.

G. D. : Quand on a lancé le marché, on s’interrogeait déjà sur le nombre de plateformes et des fusions à venir. Et là, on y est. La naissance de Sooner est un moment clé dans l’industrie française et européenne. Il est assez drôle de voir qu’on est passé du téléphone au minitel puis à Internet, mais qu’en termes de création de marque, le classique devient quelque chose d’aussi fort. Beaucoup de cinéphiles sont plus passionnés aujourd’hui par les classiques que par les nouveautés.

Constatez-vous notamment un attrait grandissant des jeunes pour les classiques ? 

A. D. : Le Festival Lumière annonce un nombre record de jeunes accrédités. C’est incroyable et cela se prolonge au marché, très intergénérationnel. Nous sommes passés à plus de 600 accrédités l’an dernier, avec le renforcement de la présence étudiante et beaucoup de nouveaux entrants sur le marché, qui reste à taille humaine, permettant de faire beaucoup de rencontres et de business. N’importe quel accrédité peut y apprendre des autres professions, et les exploitants y ont toute leur place !

Propos recueillis par Cécile Vargoz

Anaïs Desrieux et Gérald Duchaussoy © MIFC

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