L’ancienne directrice générale adjointe de la Fémis a succédé fin janvier à Michel Gomez en tant que déléguée de la Mission Cinéma de Paris. En quelques mois, ses travaux ont tenté de cerner un marché loin d’être remis de la pandémie, et qui reste toutefois en perpétuelle évolution.
Dans quel état se situe le marché parisien en 2025 ?
À mi-octobre, la fréquentation parisienne accuse un recul de 5 % par rapport à 2024 – une baisse plus contenue que celle observée au niveau national (-14,4 % entre janvier et septembre). Mais la situation reste contrastée : certains circuits souffrent, tandis que plusieurs indépendants affichent une hausse.
Plus globalement, le marché parisien peine à retrouver sa fréquentation d’avant crise, mais ce recul se remarquait depuis plusieurs années déjà. Qu’est-ce qui peut expliquer cette baisse ?
C’est un sujet que nous avons étudié en profondeur avec Carine Rolland, adjointe à la maire en charge de la Culture et de la ville du quart d’heure, et Aurélie Filippetti, directrice des affaires culturelles de la Ville, et que nous avons partagé avec tous les acteurs parisiens, circuits et salles indépendantes. L’idée était de voir s’il existait une corrélation totale de la fréquentation entre 2014 et 2024 avec les évolutions démographiques de la ville et de la périphérie, et de voir le cas échéant les autres facteurs de ce recul, au-delà de l’offre de films en salles.
Il apparaît ainsi qu’à Paris, entre 2014 et 2024, les salles indépendantes ont perdu 30 % de leur fréquentation, contre 35 % pour les circuits. Mais avant la pandémie, la baisse était surtout marquée chez les indépendants (-28 % entre 2014 et 2019, contre -2 % depuis 2019). Les circuits, eux, ont davantage souffert depuis le Covid (-26 % depuis 2019, contre -11 % auparavant). En périphérie, la dynamique est inverse : avec un nombre d’établissements en hausse, la fréquentation des circuits a progressé de 81 % jusqu’à 2019. En parallèle, les entrées des indépendants ont baissé de 47 % dans un parc relativement stable. En revanche, depuis 2019, ces derniers ne perdent que 20 % de leur fréquentation, alors que les circuits sont à -22 % avec un parc en croissance.
Pour quelles raisons ? Déjà, la population et le parc cinématographique de Paris sont en recul, de respectivement 6 % et 10 % entre 2014 et 2024. Mais cela n’explique pas tout car à l’inverse, la périphérie voit sa population et son parc croître, alors que sa fréquentation diminue aussi. La question de l’attractivité des films en salles, l’évolution des habitudes, l’enjeu du télétravail, la concurrence des plateformes ou encore la question du prix du billet jouent sans doute aussi un rôle déterminant.
Justement, lors des dernières Rencontres du cinéma indépendant, un certain nombre d’acteurs ont fait part de leur volonté de lancer une étude sur le marché parisien. Est-ce que cette demande a pu aboutir ?
Ce sujet concerne moins la Ville que la médiatrice et le CNC, qui a en effet manifesté son intérêt de regarder attentivement, en lien avec les distributeurs et exploitants, ce qui se passe, pour commencer, dans certaines communes de France. En revanche, le Centre a
accepté la proposition de la Ville de réaliser une étude sur la mobilité du public entre Paris et la périphérie, et au sein de Paris. Il s’agit d’un sujet qui nous tient à cœur, et dont l’approfondissement nous permettra de mieux connaître le public d’aujourd’hui, et même de nous interroger sur la pertinence de la notion de quartier.
De quelle manière la Mission Cinéma soutient-elle l’exploitation parisienne ?
Nous agissons sur trois axes principaux, visant à offrir un tissu d’équipement le plus large possible afin de faire bénéficier tous les spectateurs d’une offre variée. Le premier est le soutien à l’investissement des salles indépendantes – qu’il s’agisse de modernisation (comme bientôt à La Clef et à la Pagode), de renouvellement d’équipements ou de création comme prochainement au CiNey. Le deuxième concerne le soutien en fonctionnement à hauteur de 900 000 €, de 34 cinémas indépendants. Troisièmement, nous sommes d’une part très présents sur l’éducation aux images en soutenant Ma classe au cinéma : nous touchons ainsi 70 % des établissements parisiens, de la maternelle au collège. C’est un très bon taux, mais nous sommes persuadés qu’il est possible de faire plus. Ce dernier soutien incarne la politique de la Ville en matière du renouvellement des publics : notre but est de continuer à transmettre le plaisir de la salle et de la projection en collectif. D’autre part, toujours dans une logique de transmission, nous aidons une quarantaine de festivals et associations se déployant très majoritairement dans les salles parisiennes, et promouvant une variété de formats, de genres (courts métrages, animation, documentaire, expérimental…) et de cultures, à l’instar de Mon Premier Festival.
Enfin, la Mission Cinéma est un point d’entrée pour tout type de questions des salles indépendantes et des circuits. Par exemple, quand le Grand Rex organise une avant-première qui se déploie en partie sur le domaine public, il doit contacter les collègues de la communication de la Ville de Paris, qui nous sollicitent à leur tour. De même, quand le Pathé Palace était en travaux, nous étions très attentifs au déroulé du projet.
Est-ce que tous ces soutiens pourraient être amenés à évoluer en fonction du résultat des prochaines élections municipales ?
Tout dépendra du souhait du nouvel exécutif élu. Néanmoins, depuis que la Mission Cinéma existe [2002, ndlr.], et malgré quelques variations de montants, je remarque une certaine constance dans la politique d’animation, de renouvellement des publics et des équipements ainsi que de la diversité de l’offre.
Plus généralement, quels sont les points d’attention de la Mission Cinéma dans les prochains mois ?
Nous observons d’un œil attentif les différentes stratégies de long terme des groupes, comme celle de Pathé sur le premium, et celle du rapprochement entre Canal+ et UGC qui aura forcément un impact sur l’évolution et la modernisation de son parc, ou celle de mk2 en matière d’hôtellerie et immersif. Du côté des indépendants, l’association des Cinémas Indépendants Parisiens favorise les initiatives de ses membres, Multiciné a adopté une stratégie spécifique du fait de ses établissements et de sa localisation, et le groupe Dulac œuvre à une nouvelle logique de programmation culturelle de ses salles. Il est donc important d’identifier les enseignements de cette restructuration d’un marché décroissant, que nous espérons retrouver croissant.


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