Épicentre prêt à faire vibrer les salles

Manon Altazin en pleine discussion avec son fils Mathéo © Épicentre Films

Le 10 décembre, la sortie du documentaire de Dominique Fischbach, Elle entend pas la moto, se présente comme un défi de taille pour son distributeur qui veut en faire un film pour tous les publics – petits et grands, entendants et malentendants. Rencontre avec Daniel Chabannes et Corentin Sénéchal, respectivement fondateur et directeur de la structure trentenaire.

Lors de la journée des éditeurs du Congrès FNCF, la boucle du line-up d’Épicentre Films – membre de la Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF) – a été accompagnée d’une présentation de Elle entend pas la moto, en présence de sa réalisatrice Dominique Fischbach et de sa protagoniste Manon Altazin, sourde de naissance. Un moment décisif pour le distributeur qui dévoilait aux exploitants un projet accompagné dès la production par Corentin Sénéchal et Daniel Chabannes, et dont l’origine remonte à… 25 ans. En effet, pour ce documentaire, la cinéaste – issue de l’école Strip-tease – a conjugué ses prises de vue avec des archives issues de courts et moyens métrages qu’elle a tournés sur la famille Altazin depuis 2003 : Petite Sœur, Grande Sœur et Manon maman. Germe alors l’idée de réaliser un long métrage pour le cinéma, et la cinéaste contacte Daniel Chabannes et Corentin Sénéchal, ce dernier ayant déjà produit un de ses courts métrages. « Le projet s’inscrivait très bien dans notre ligne éditoriale, qui s’attache à défendre la diversité, qu’elle concerne les questions LGBT, les handicaps… », commentent les dirigeants d’Épicentre.

En profiter tant que le moteur est chaud

Dès la pré-production, une dynamique se lance pour que le tournage se fasse au plus vite. « Avec la thématique du film, nous avons pu être inventifs dans la recherche de financements, et sommes donc allés vers le mécénat », explique Corentin Sénéchal. Grâce à la notoriété de Manon Altazin – notamment devenue la première pilote d’avion sourde – au sein de la communauté malentendante, et à l’investissement de Julie Gayet en tant que marraine, 200 000 € sont récoltés auprès de mécènes privés comme publics – à l’instar de l’Association nationale de l’audition et la Fondation pour l’audition. « J’avais une idée précise de comment produire ce film, et finalement tout est allé très vite : un an s’est écoulé entre le moment où nous nous sommes emparés du projet et la fin de tournage. » À cela se sont ajoutées, après réalisation, l’avance sur recettes du CNC, puis, en distribution, le soutien de La Banque Postale en tant que Sofica.

Dans le prolongement de la production très rapide, les producteurs/distributeurs entament une tournée des festivals. « Nous avons souhaité montrer le film dans le plus d’endroits possible, dont Valenciennes – d’où il est reparti avec le prix du public –, Auch, Paris Ciné contre les discri’… Il y a eu à chaque fois des retours très positifs. » Pour accompagner ce rayonnement progressif, Épicentre décide de présenter le film lors de la journée des éditeurs du Congrès de la FNCF. Manon Altazin se porte volontaire pour intervenir sur scène aux côtés de Dominique Fischbach et Corentin Sénéchal, pour parler et “signer” ; un moment remarqué par les exploitants, comme l’ont constaté le fondateur et le directeur de la structure suite aux nombreux messages qu’ils ont reçus. « Le Congrès nous a grandement facilité la tâche pour organiser des avant-premières : on n’a aucun refus ! »

Dominique Fischbach, Manon Altazin et Corentin Sénéchal lors de la journée des éditeurs au Congrès de la FNCF © Jean-Luc Mege Photography

Rendre le trajet accessible

Épicentre compte sortir entre 150 et 200 copies, et espère l’accompagner sur la durée, « comme ce qui avait été fait sur Les Nouveaux Chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat [le plus grand succès du distributeur avec plus de 250 000 entrées, ndlr.] », notamment en intégrant Collège et cinéma. 

La société, qui a déjà sorti en 2016 J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd de Laetitia Carton, autre documentaire sur la surdité, compte pousser la carrière de Elle entend pas la moto en maximisant son accessibilité. Un travail qui a reçu le soutien du CNC et de l’Agefiph – Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées – via l’appel à projets « Les uns et les autres ». Ainsi, de nombreux partenariats sont mis en place avec des structures locales accompagnant des personnes sourdes, voire leur entourage, et un DCP unique avec sous-titres français a été créé – une version SME sera également disponible. À côté, un grand travail de communication est effectué sur les réseaux sociaux – via l’agence Happy Together –, qui est « un médium très investi par la communauté sourde », explique Corentin Sénéchal, espérant que « le film devienne viral » ; un partenariat a ainsi été mis en place avec SensCritique. En attendant, Daniel Chabannes remarque « une forte mobilisation de personnes sourdes, qui expriment leur joie de voir un film dans lequel elles se reconnaissent ».

Épicentre compte également investir le milieu scolaire, à travers la plateforme Zéro de conduite et la création d’un dossier pédagogique. « Nous avons déjà fait quelques projections avec des élèves et les retours sont très bons. Ils sont tous très attentifs et, étonnamment, c’est peut-être eux qui ont posé les meilleures questions ! » Car pour Daniel Chabannes et Corentin Sénéchal, le film de Dominique Fischbach répond à une demande de la part des institutions publiques qui cherchent de plus en plus à sensibiliser sur les handicaps – « et quand il s’agit de montrer des films sur la surdité, Le Pays des sourds de Nicolas Philibert a été bien “essoré” ! ».

Daniel Chabannes, fondateur, et Corentin Sénéchal, directeur © Jules Dreyfus pour Boxoffice Pro

Deux défis majeurs pour la fin d’année

D’ici la sortie de Elle entend pas la moto le 10 décembre, Épicentre aura proposé, le 29 octobre, Un poète de Simón Mesa Soto, passé par le Festival de Cannes où il a obtenu le Prix du jury Un Certain Regard. « Il a eu une très belle exposition à Cannes et dans les festivals, et va représenter la Colombie aux Oscars. » En 2026 sont déjà datés Justa de Teresa Villaverde (28/01) et Maspalomas de José Mari Goenaga et Aitor Arregi (24/06) ; la dernière acquisition, Ungrateful Beings du Tchèque Olmo Omerzu et Father de Teresa Nvotová seront quant à elles bientôt placées. Une année qui s’annonce dense pour le distributeur qui se dit « plus chanceux que d’autres structures face aux difficultés du moment ». En raison notamment de titres se situant dans « une tranche moins affectée par la crise », et de quelques succès encourageants tels que Marco, l’énigme d’une vie d’Aitor Arregi et Jon Garaño, L’Affaire Nevenka d’Icíar Bollaín ou encore L’Ombre de Goya de José Luis Lopez-Linares.

Article paru dans le Boxoffice Pro n°502.

Manon Altazin en pleine discussion avec son fils Mathéo © Épicentre Films

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