À la veille des réunions des représentants des trois branches, mardi 23 septembre à Deauville, Rafael Maestro de l’association Ciné Passion en Périgord, toujours à la tête de la branche des cinémas réalisant moins de 75 000 entrées annuelles, fait entendre leurs arguments de programmation et réaffirme l’enjeu démocratique de l’éducation au cinéma défendu par le rapport Geffray.
« Le risque en temps de crise, c’est de désigner un bouc émissaire »
Au terme des huit premiers mois de 2025, comment se porte la petite exploitation qu’on avait tendance à considérer comme moins impactée par la baisse de fréquentation de l’après-Covid ?
Nous nous portons comme les autres branches : mal. Nous parlons, entre nous, d’économie de survie. La tendance baissière du marché a été accentuée cet été, notamment lors du mois d’août qui a été catastrophique. Dans ce contexte, où les films familiaux rassembleurs qui conviennent particulièrement aux salles de la petite exploitation ont fait défaut, la branche est en recul de 16 % par rapport à 2024 et à la moyenne pré-Covid 2017-2019.
Notre parc est clairement calibré pour 220 à 230 millions d’entrées annuelles, mais sur les douze derniers mois glissants, nous n’en comptabilisons que 160 millions. Un décrochage qui peut s’expliquer par trois raisons principales : le manque de densité et de régularité dans les succès populaires, le déficit de renouvellement et d’inventivité de la production notamment américaine – qui par ailleurs n’est revenue qu’à deux tiers de son offre habituelle – et le manque criant de propositions pour le public jeune. Au final, beaucoup d’entre nous connaîtrons de gros problèmes de trésorerie d’ici la fin d’année.
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Ces derniers mois, les tensions semblaient s’être exacerbées dans les zones de concurrence avec la grande exploitation. Où en est le dialogue aujourd’hui ?
Nous avons tous la même fonction ! Celle de diffuser des films et de leur apporter une valeur ajoutée, qui se traduit évidemment différemment selon nos typologies de salles Le risque en temps de crise, c’est de désigner un bouc émissaire. Notre accès au film est globalement meilleur, avec un accès moyen dès la troisième semaine, ce qui a accéléré l’attractivité de nos salles de proximité auprès de notre public. Nos politiques d’animation et tarifaires adaptées à nos zones de chalandise, ont également beaucoup joué.
L’étude commandée par le Syndicat des cinémas de proximité auprès d’Hexacom, qui porte sur l’analyse des fréquentations sur cinq ans et 35 agglomérations, permet aujourd’hui d’objectiver la situation : là où la grande exploitation a perdu des millions d’entrées, la petite n’en a gagné que quelques milliers. N’oublions pas non plus que notre politique tarifaire est un critère que les distributeurs prennent déjà en compte dans nos négociations d’accès au film, ni que nos cinémas de proximité, qui ne peuvent absorber toute la programmation, font des choix de programmation, et les assument. Le problème, ce n’est pas une concurrence entre nous, mais la profusion de l’offre d’accès aux contenus d’images, et l’évolution du public, habitué à être abonné à tout – et notamment à des plateformes – et dont les achats impulsifs – comme les sorties au cinéma – sont de plus en plus rares. Si j’avais un conseil à donner aux grands circuits, ce serait d’interroger leur modèle : leur nombre d’écrans, leurs tarifs, leur localisation…
L’année en cours a notamment été marquée par la réforme du compte de soutien automatique. Qu’a-t-elle changé pour la petite exploitation ?
Cette réforme, nous l’avons travaillée main dans la main avec la moyenne exploitation alors présidée par Cédric Aubry, et sommes finalement restés discrets sur son résultat qui aura exclusivement profité aux circuits, à la très grande exploitation, en grande difficulté. Mais aujourd’hui, nous le sommes nous aussi. Le fait que 90 % des comptes de soutien de la petite exploitation sont créditeurs positifs ne veut pas dire que 90 % de leurs exploitants n’ont pas de projets ; simplement, les modernisations et extensions ne se font pas d’un coup de cuillère à pot. Et le renouvellement des projecteurs numériques est un enjeu pour beaucoup de collègues. Or, nos comptes de soutien ne suffisent pas lorsque les investissements des collectivités sont en baisse. Le problème identifié, c’est que beaucoup d’exploitants manquent de formation sur l’usage de ce fonds. Nous travaillons, FNCF et CNC, à l’évolution des dépenses éligibles, et aussi à un plan de communication qui devrait faciliter la compréhension et l’utilisation de nos comptes. Et la formation continue des exploitants et des équipes, qui pourrait être soutenue par nos comptes de soutien, est un excellent moyen afin que tout le monde monte en compétence.
Comment la branche évalue-t-elle ses enjeux économiques, et en particulier sa rentabilité ?
Au sein de notre branche, nous devons davantage aider nos collègues à travailler leurs modèles économiques, mieux connaitre et maîtriser leurs budgets, pour mieux anticiper. Or, peu d’exploitants ont calculé leur “point mort”, soit le nombre de spectateurs qu’il leur faut dans la salle pour ne pas perdre d’argent. Actuellement, même si la moyenne est de 17 entrées, la moitié des séances se fait avec moins de 10 spectateurs. Sur un niveau macro économique, chaque écran génère 25 000 entrées par an, contre 35 000 en 2019. Nos marges, déjà faibles, sont désormais inexistantes. Mais des solutions existent, elles nécessitent du temps d’explication, de pédagogie. Les associations territoriales, les syndicats, tout le monde doit se mobiliser. Il faut également que les exploitants rencontrent les élus de leur territoire, afin d’expliquer leurs métiers, leur utilité, leurs difficultés.
Peut-on vraiment “objectiver” les arguments de programmation de la petite exploitation face aux autres acteurs du secteur ?
Dans notre commission de branche, un sous-groupe de travail a planché pendant plusieurs mois sur la mise en place d’une expérimentation, avec quatre distributeurs, rencontrés en présence de Madame le médiateur du Cinéma Laurence Franceschini. L’idée était de tester, sur quatre mois, les performances de huit films porteurs– dont quatre recommandés art et essai et quatre dits porteurs – dans une vingtaine de cinémas représentatifs – mono-écrans, 2/3 écrans, en régie municipale, associatifs, privés, art et essai ou non, en zone concurrentielle ou pas… –, programmés avec de nouveaux critères (les moyens humains de la salle, sa capacité à communiquer, l’avis de l’exploitant sur sa grille de séances…). En résumé, une exposition moins concentrée sur la première semaine, mais plus soutenue et accompagnée les semaines suivantes.
Finalement, les distributeurs ont estimé qu’un marché aussi bas et tendu n’était pas le moment opportun pour tester de nouvelles conditions d’exposition. Nous allons continuer ce travail essentiel, et porter nos arguments auprès du comité de concertation distributeurs-exploitants.
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Côté classement art et essai, comment la branche ressent-elle les effets de la réforme ?
Tout le monde convient aujourd’hui que la mise en place d’une notation est une mauvaise idée, incompréhensible et parfois violente pour les exploitants. Globalement, les cinémas de notre branche ont obtenu un soutien financier similaire à la période d’avant-réforme. Nous allons désormais être particulièrement attentifs aux effets de la seconde partie de la réforme : la majoration/minoration. Nous souhaitons que le CNC puisse la modéliser afin de nous rendre compte de l’impact financier. Je pense qu’il existe un risque : celui de démotiver des cinémas à programmer des films de la diversité, plus exigeants, très présents dans nos cinémas, en se concentrant sur les films art et essai porteurs, qui génèrent plus de recettes. La prime art et essai du CNC sert, pour beaucoup d’entre nous, à tendre vers l’équilibre financier de nos cinémas, et à permettre à tous les publics, tous les territoires, cet accès à tous les films. Il faut faire attention à ne pas fragiliser ce formidable travail.
Les propositions du rapport Geffray, dévoilées le 8 septembre dernier à quelques heures de la chute du gouvernement Bayrou, sont-elles de nature à vous rassurer sur l’avenir de l’éducation à l’image ?
Le rapport préconise que le cinéma devienne une matière à part entière, au même titre que la musique ou le dessin. Pour cela, il faut former les enseignants, mais aussi les exploitants, avec des processus courts et agiles ; ce que le rapport entérine aussi, en proposant non seulement de préserver les formations existantes, mais d’en créer de nouvelles. Nous devons renforcer la relation de confiance entre les communautés éducatives et les cinémas. Beaucoup d’initiatives locales marchent très bien, mais elles sont trop peu partagées.
L’éducation à l’image reste avant tout un enjeu démocratique. Depuis 20 ans, le renouvellement “automatique” des générations de spectateurs ne se fait plus. De fait, 59 % des générations nées après 2000 consomment des images sur YouTube et TikTok, qui façonnent leur vision du monde. Je crois beaucoup au rôle émancipatoire et démocratique de la salle de cinéma, et à l’investissement des exploitants dans ces enjeux.
Propos recueillis par Ayşegül Algan
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