Au sortir du Congrès et de la journée des distributeurs, le président de la Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF) revient sur les enjeux du secteur… affecté par la crise de la fréquentation.
Quel bilan tirer de ces derniers mois ?
La fréquentation a été en recul par rapport à l’été 2024 : -17 % en juillet et -29 % en août, ce sont des chiffres décevants, indéniablement. Pour autant, on voit en septembre l’amorce d’un redémarrage qui correspond à l’analyse que nous avions faite de l’arrivée d’une offre plus forte sur la fin de l’année 2025. Le trimestre qui vient comportera des titres très attendus comme Jean Valjean, Chien 51, L’Homme qui rétrécit, le nouveau Kammelott, L’Étranger, la suite de Avatar, La Femme de ménage et de belles propositions en films d’auteur, comme la Palme d’or de Cannes 2025 qui vient tout juste de sortir… l’année n’est pas finie !
Dans une économie de prototypes comme la nôtre, soumise à la concurrence accrue des autres médias, il est normal que le marché fluctue. Quelle est la part des facteurs conjoncturels et des facteurs plus structurels ? Nous sommes dans une économie de l’offre et je suis confiant quand je vois la vitalité de la création en France et l’engagement résolu des éditeurs-distributeurs à rendre cette offre attractive. Confiant aussi quand j’observe le retour d’une offre plus soutenue de films américains, dont on sait qu’ils s’adressent structurellement à une partie importante du public du cinéma.
Mais on constate par ailleurs que les performances des films sont globalement moins bonnes qu’il y a quelques années, si l’on met de côté quelques succès hors-normes comme on en a connu l’an dernier et qui ont d’ailleurs tiré les chiffres de la fréquentation vers le haut. De fait, les Français sont devenus plus sélectifs et se rendent tendanciellement moins souvent au cinéma, même si cela reste une sortie culturelle centrale dans leur mode de vie. À nous de prendre en compte ces évolutions et de faire des propositions qui sauront séduire les différents publics, en termes de choix des films et ensuite de marketing. Et sur ce point, les éditeurs-distributeurs ont un rôle essentiel à jouer, et des investissements accrus à consentir.
Que retenez-vous de la journée des éditeurs ?
J’ai le sentiment que cette 30e Journée des éditeurs de films, que nous avons organisée comme toujours en partenariat avec la FNCF, a redonné le sourire à la profession, dans un contexte clairement morose durant les premiers jours du congrès, avec beaucoup d’inquiétudes exprimées. C’est un rendez-vous annuel qui permet de voir l’étendue et la diversité de l’offre des prochains mois, avec plus de 400 films-annonces et images exclusives, représentant cette année 29 sociétés de distribution parmi les plus importantes du marché. Il s’agit en quelque sorte d’un exercice de séduction : nous, distributeurs, voulons donner envie aux exploitants de choisir nos films. Nous y mettons beaucoup de moyens : toutes les équipes sont investies bien avant l’été pour préparer les images, faire venir des équipes de films, préparer le marketing. Ce rendez-vous a de nouveau très bien fonctionné cette année, avec une journée très riche et utile pour appréhender les tendances du marché.
« L’offre est là, mais la concurrence entre les médias oblige à investir plus pour “faire événement” »
Le sujet de l’éducation aux images, qui était au centre des débats, est-il une préoccupation importante pour les éditeurs-distributeurs ?
Former les spectateurs de demain est une préoccupation majeure et constante des éditeurs-distributeurs. Ma classe au cinéma est un dispositif qui fonctionne bien dans l’ensemble, avec 30 ans d’expérimentation et de travail. Il est issu d’un travail de très long terme, unique au monde et très précieux. À la suite du rapport d’Édouard Geffray, notre souhait est de l’adapter aux nouvelles contraintes qui se font jour, en maintenant son excellence et en trouvant des solutions aux difficultés rencontrées (baisse de fréquentation, moindre engagement des enseignants, contraintes budgétaires). Un des points importants pour nous est également d’assurer des choix de films diversifiés et récents alliant un équilibre entre proposition de catalogues, nouveautés, films exigeants et films plus accessibles.
À quel point la distribution s’est-elle fragilisée ces dernières années ?
La baisse de la fréquentation que nous observons cette année touche certes l’exploitation, mais tout autant la distribution en plein cœur puisque nos sociétés se rémunèrent essentiellement sur une part du ticket d’entrée en salle. Les trésoreries sont inévitablement touchées. Rappelons que l’acquisition des droits de distribution des films s’accompagne d’investissements importants très en amont de la sortie, auxquels viennent s’ajouter les frais de marketing et de promotion. Une baisse des recettes en salles nous impacte au premier chef.
Il me semble d’autant plus important de le souligner que, pour faire vivre les films et séduire le public, les distributeurs sont amenés à faire puissamment évoluer la communication sur les films, à événementialiser toujours plus les sorties, qu’il s’agisse d’ailleurs de films d’auteur ou de titres plus grand public. L’offre est là, mais la concurrence entre les médias oblige à investir plus pour “faire événement”. C’est le message principal que nous portons auprès du CNC et de nos amis exploitants, comme je l’ai fait à Deauville.
Dans le contexte politique actuel incertain, avez-vous des inquiétudes sur le rôle et l’indépendance du CNC ?
Nous sommes évidemment très attentifs au maintien des fondamentaux du CNC car le modèle français est performant. Il incarne une politique culturelle et industrielle qui a fait ses preuves et nous disposons d’arguments solides, de faits étayés, qui le démontrent. Je suis donc confiant, même si une pédagogie est toujours nécessaire à l’occasion du projet de loi de finances annuel pour démontrer que cette politique industrielle reste vertueuse. Pour rappeler aussi qu’une large part de cette politique repose sur une épargne forcée issue d’une surfiscalité des acteurs de la filière et des obligations d’investissement de certains acteurs privés. Dans cette période de fluctuation du marché, la continuité dans le fonctionnement et les interventions du CNC est un élément de stabilité.
Propos recueillis par Jules Dreyfus


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