Si, lors de l’investor call, Ted Sarandos, le co-PDG de Netflix, a tenté de rassurer sur l’implication de Warner Bros. envers les cinémas, ses précédentes prises de position affirmaient au contraire une autre vision de la salle.
L’annonce du rachat de Warner Bros. par Netflix pour 82,7 milliards de dollars a immédiatement provoqué une réaction vive de la part des organisations d’exploitants. L’UNIC, en Europe, a dénoncé un « mouvement de concentration préoccupant », tandis que Cinema United, aux États-Unis, évoquait un risque « d’affaiblissement supplémentaire de l’écosystème des salles ». C’est dans ce climat que s’est tenu, le 5 décembre 2025, l’investor call où le co-PDG de Netflix, Ted Sarandos, a longuement détaillé les implications de l’accord avec Warner Bros. Discovery.
Pour Netflix, la situation exigeait un discours particulièrement soigné. Pas évident de se montrer conciliant avec les salles quand, en avril dernier encore, Sarandos déclarait dans Time Magazine que leur déclin « ne le dérangeait pas », interprétant les difficultés du box-office nord-américain comme un message clair du public : « Il préfère regarder les films chez lui ». Un propos qui, en Europe comme aux États-Unis, n’avait pas été bien reçu par les professionnels du cinéma en salle.
Lors de cet investor call, Sarandos a adopté un ton très différent. Il a affirmé que « tout ce qui est prévu pour sortir en salles chez Warner Bros. continuera d’aller en salles » et que Netflix entendait préserver « le cycle de vie des films qui démarre en salle ». Cette volonté de continuité s’inscrit dans la logique industrielle d’un studio pour lequel la salle reste centrale, notamment sur les franchises.
Mais ces propos doivent aussi être lus à l’aune d’une autre réalité : l’opération devra affronter un examen antitrust particulièrement poussé, tant aux États-Unis qu’en Europe. Le contexte incite donc Netflix à chercher à rassurer tous les maillons de la chaîne.
Sur la question des fenêtres d’exclusivité, la fameuse chronologie des médias, Sarandos a réaffirmé une position connue : il est opposé aux « longues fenêtres exclusives », qu’il juge peu adaptées aux usages contemporains. Des propos qui ne sauraient surprendre en France où Netflix a engagé en avril dernier un recours devant le Conseil d’Etat contre un accord qu’ils n’ont pas signé.
Dans le contexte américain, cette notion de fenêtres longues renvoie à des fenêtres de 80 à 90 jours avant 2020, ramenées depuis la pandémie à environ 30 à 45 jours par la plupart des studios. Lorsque Sarandos critique des « fenêtres longues », c’est ce modèle-là qu’il vise.
Dans son interview à Time, ses propos étaient d’ailleurs plus francs : « Faire des films pour un écran géant et une expérience collective » relevait selon lui d’un « concept dépassé ». On retrouve, dans la critique des « longues fenêtres », une cohérence avec cette vision : l’idée que l’exploitation salle doit être raccourcie pour répondre au choix du spectateur de visionner rapidement chez lui. Le call du 5 décembre reprend cette logique, mais dans une formulation plus policée et adaptée à un contexte sensible.
Concernant le rapport de Netflix aux salles de cinéma, Sarandos met en avant le fait que la société a « sorti environ 30 films en salles cette année ». Une affirmation exacte, mais qui mérite un peu de contexte. Ces sorties ont presque toutes été très limitées, souvent pensées pour répondre aux critères d’éligibilité aux Oscars. Sarandos l’avait d’ailleurs admis sans détour dans Time quelques mois plus tôt : « On fait ces sorties sur mesure… Il faut cocher quelques cases pour les Oscars. » Ce contraste souligne l’évolution du discours : une pratique jusqu’ici présentée comme tactique et essentiellement liée à une course aux prix prestigieux est désormais présentée comme un argument visant à illustrer une certaine normalité dans la relation entre Netflix et les salles.
L’ensemble dessine un message désormais plus nuancé. Netflix affirme vouloir maintenir les sorties salles de Warner et respecter leur rôle dans le cycle d’exploitation, tout en réaffirmant sa préférence pour des fenêtres d’exclusivité courtes. Ted Sarandos adopte un ton apaisé, mais ses prises de position récentes montrent qu’il n’a jamais caché sa conviction que le public privilégiait désormais la consommation domestique et que la salle n’était donc plus, selon lui, le centre naturel de l’expérience cinéma.
Reste la question essentielle : ce discours du 5 décembre marque-t-il un le début d’une inflexion stratégique ou répond-il seulement aux exigences d’un processus réglementaire particulièrement complexe ? Les 12 à 18 mois annoncés pour les processus réglementaires s’annoncent dignes des meilleurs cinémas hollywoodiens, sans consensus à ce stade sur le “Happy End”.


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